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Devenir compositeur de musique à l’image en 10 leçons. Leçon 5 : créer des ambiances musicales réussies

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La musique à l’image est par définition subordonnée à cette dernière et à ses besoins et contraintes spécifiques, à la différence de la musique pour elle-même, où tout est permis. Cette subordination prends essentiellement deux formes :

  • Contraintes temporelles : la durée et le rythme d’une scène ou d’une séquence vont conditionner la temporalité musicale (durée, tempo). Bien que tout un éventail de choix contrastants reste possible (ex : musique contemplative sur scène de bataille), ils se réfléchissent toujours dans le cadre d’un rapport audio-visuel.
  • Contraintes narratives : le message, le sens, l’émotion d’une scène vont évidemment déterminer les choix musicaux. Là aussi, la musique n’a pas nécessairement un rôle illustratif (répéter sur le plan sonore ce que l’image dit déjà), mais peut créer un contrepoint source de sens additionnel.

Ces évidences rappelées, ajoutons que la bande-son du film ou d’un jeu vidéo est également source de contraintes pour le compositeur. J’entends ici par bande-son tous les éléments qui la composent, exceptée la musique : dialogues, ambiances, bruitages etc… La présence de dialogues est susceptible de réduire les choix musicaux, notamment sur les plans de la mélodie et de l’instrumentation. Il existe toujours le risque qu’une mélodie, superposée à un dialogue, créée une concurrence cognitive et perturbe la perception de ce dernier. Une mélodie affirmée, qui plus est interprétée par un instrument dont le registre recouvre celui de la voix humaine (ex : le violoncelle), risque de mettre à mal la perception d’une scène parlée. Dans d’autres cas, les bruitages peuvent participer activement au sens d’une scène ou les ambiances sonores à l’immersion, auxquels cas la musique devra se faire discrète en évitant d’incorporer des éléments trop figuratifs propres à attirer sur elle l’attention du spectateur/auditeur.

Dans le cas du jeu vidéo, les contraintes de jouabilité et de lassitude plaident souvent en faveur d’ambiances musicales suffisamment discrètes pour ne pas compromettre l’expérience de jeu : veiller à faire entendre les éléments sonores nécessaires à la progression dans le jeu (l’anticipation des dangers par exemple) et ne pas lasser le joueur par des éléments mélodiques récurrents sur les longues heures qui caractérise l’expérience vidéo-ludique. On réservera les moments de musique « totale » :

  • aux moments clés de l’ « intrigue » (pour son effet dramatique)
  • quand l’attention du joueur est moins sollicitée (cinématiques, fin de niveaux, menus)

Les contre-exemples sont bien sûr nombreux, mais sont en général appuyés par des motivations spécifiques et permises par les moyens du mixage : gestion du volume relatif des sources sonores concurrentielles, filtrage fréquentiel, compression multibandes, ducking, etc…

Les cas évoqués ci-dessus nous amènent à la situation fréquente pour un compositeur de musique à l’image, d’avoir à créer des ambiances musicales. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elles sont loin d’être faciles à produire. Il suffit rarement d’une nappe de synthé x pour remplir à bien cette mission. Une ambiance musicale réussie doit en effet cheminer sur un fil étroit entre variation et continuation, se préservant de la monotonie d’une part, et évitant de contenir trop de changements manifestes. Le but d’une ambiance musicale consiste à renforcer de manière transparente l’émotion suggérée par le contexte, en laissant la place nécessaire aux autres sources d’informations en jeu.

Ayant composé les musiques de deux jeux d’assez grande envergure depuis le début de l’année, j’ai eu le loisir de réfléchir et de progresser dans la construction de ces ambiances. J’aimerais en partager le fruit avec vous, en incorporant deux de mes créations pour illustrer le propos.

Un bon dessin valant mieux qu’un long discours, j’ai réalisé une carte heuristique (mindmap en anglais) dont je me suis servi comme mémo lorsqu’il s’agissait de créer des ambiances. En tant qu’outil de travail, elle n’est ni parfaite ni exhaustive mais représente fidèlement la pensée musicale qui m’a guidée lors de la composition. Elle possède 3 branches principales :

  1.  Procédés : je liste ici une série de procédés compositionnels utiles
  2.  Eléments : figures se prétant bien au contexte d’ambiance musicale
  3.  Processus graduels : j’ai cherché à développer des processus qui apporte du renouvellement de manière discrète. En se faisant sur des plages de temps plus étendues, ils attirent moins l’attention. J’ai cherché à décliner ce concept au-delà des variations de volume ou de filtrage, l’appliquant à d’autres paramètres sonores, via l’utilisation extensive de l’automation et des LFO.
(Cliquez pour agrandir)

Je vous propose pour finir une petite analyse d’une des pistes d’ambiance créée pour un des jeux en question à sortir début 2012, dont je ne peux dévoiler le nom pour des raisons de confidentialité contractuelles. Tout ce que je peux vous dire est qu’il s’agit ici d’une phase de tension (rencontre probable d’ennemis) dans un univers désertique.

0’00 : exposition du motif chromatique de synthé bass ; motif rythmique itératif du shaker

0’19 : exposition du motif de synthé filtré rythmique itératif (+ sons tenus de tension se déployant en arrière-fond)

0’57 : rupture : exposition d’un motif harmonique aux cordes

1’18 : sur un continuum faisant évoluer les motifs précédemment exposés, phrases improvisées et espacées de kaval (flûte oblique de Turquie interprétée par votre serviteur) entrecoupées d’interventions percussives et d’un rappel varié du motif de cordes

2’24 : après un crescendo percussif, exposition d’une mélodie aérée sur un pad, soutenue par un ostinato à la guitare acoustique.

2’43 : modulation sur le IVème degré du premier motif de synthé bass, prétexte à introduire des éléments de sound design (guitare acoustique triturée et lue à l’envers passée dans un delay)

3’02 : retour sur le premier degré avec introduction de la guitare crunch

3’24 : retour du kaval sur un motif mélodique construit sur une suite de transpositions

3’40 : modulation vers IV avec retour de la guitare crunch, alternance des interventions mélodique de la guitare, du pad, de la guitare reverse et du kaval sur un continuum en mutation

Autres remarques :

  • les interventions percussives permettent de dynamiser, de prétexter des transitions ou des changement de nuances.
  • la structure est rendue moins « carrée » par le chevauchement d’évènements (entrée en fondu d’un instrument sur une jonction de la structure par exemple)
  • la structure alterne des moments plus ou moins denses afin de rester vivante

Je vous propose une seconde piste dévolue à une map de forêt mystérieuse, à vous de repérer les éléments et processus à l’oeuvre !



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